Le Monde.fr | • Par Luc Vinogradoff (Austin, envoyé spécial)
Comme tous les ans, le journalisme, et son futur, a été un des thèmes récurrents lors du festival « South By Southwest » (SXSW), consacré aux nouvelles technologies, à Austin (Texas). Dans une industrie en mutation perpétuelle depuis près d'une décennie et où le statu quo ne veut plus rien dire, ces discussions servent à partager des expériences, dessiner des pistes pour s'adapter aux nouvelles contraintes et profiter des nouveaux outils disponibles. C'était précisément le but d'une table ronde, dimanche 9 mars, autour du « journalisme 2.0 », de laquelle ont émergé trois tendances.
Aux Etats-Unis, comme en France, certains
sujets d'actualité cruciaux ne semblent pas intéresser, a priori, la majorité des lecteurs. C'est le cas
de la Syrie ou de l'Irak, des conflits armés complexes ayant coûté la vie à un
nombre effrayant de personnes durent depuis plusieurs années.
Lara Setrakian, qui était correspondante de la chaîne CBS au Proche-Orient, a décidé de lancer le site Syria Deeply,
exclusivement dédié à ce pays. On y trouve des brèves quotidiennes, des liens
vers les meilleurs articles d'autres médias, des reportages grâce à un important réseau de
correspondants sur place, des articles décryptant en détail les forces en
présence, des cartes ou des visualisations de données. Il permet surtout à Lara
et à son équipe de proposer aux lecteurs une couverture « constante
et en profondeur », alors qu'elle estime que trop de médias ne
peuvent que survoler les faits.
Ce site dédié est rapidement devenu un outil pédagogique, utilisé par les
enseignants pour expliquer la guerre actuelle et l'histoire de la Syrie, à
leurs élèves. Et à la grande surprise de Lara, qui pensait se concentrer sur ce seul sujet, des lecteurs ont demandé des
sites similaires pour comprendre la situation dans d'autres pays (Irak, Afghanistan, Ukraine) ou des sujets touchant à la science (la
maladie d'Alzheimer, les océans). Pour se financer, le site bénéficie d'un certain nombre de
bourses. Et il s'assure un début de revenus en proposant directement des services payants à ses
lecteurs. « Il s'agit de monétiser l'audience, pas le contenu », résume Lara Setrakian.
S'appuyer sur ses lecteurs
Andy Carvin a couvert le Printemps arabe pour la radio américaine NPR et a
été parmi les premiers à s'appuyer sur les réseaux sociaux pour le faire. A SXSW, il s'est rappelé comment, au tout début
du soulèvement en Libye en 2011, des vidéos montrant des
hommes armés s'attaquant à l'armée dans l'est du pays ont commencé à circuler en ligne. Tout d'abord incapable, comme la
plupart des journalistes occidentaux, de les vérifier, Carvin a utilisé « la masse
critique » de personnes qui le suivaient sur Twitter pour créer « un écosystème » d'intelligence collective.
« Des arabophones m'ont traduit ce que disaient
les hommes, d'autres m'ont dit qu'ils parlaient effectivement avec l'accent de
l'Est, d'autres encore que les bâtiments officiels correspondaient bien à la
ville où la vidéo était supposée avoir été tournée... Je n'aurais jamais pu savoir cela tout seul et aussi rapidement. »
Cette approche n'est pas parfaite, comme l'a montrée l'investigation
numérique ratée menée par le site Reddit après l'attentat au marathon de
Boston, en avril 2013. Ce
que Carvin reconnaît sans peine, en ajoutant : « Imaginez s'il y avait
eu deux ou trois journalistes confirmés pour encadrer cela ? ». Il se considère désormais plus comme « un
faiseur de sens » qu'un journaliste, dans le sens classique du terme
: il doit non seulement informer, mais faire le tri de toutes les informations, vraies ou
fausses, qui circulent en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. « On
a eu tendance à ne pas parler d'une rumeur pour ne pas lui donner de crédit. Ce n'est plus possible
aujourd'hui, car nos lecteurs savent tous qu'elle existe et y sont confrontés.
»
Construire un réseau sur le terrain et
l'entretenir
ViceNews se veut le
média des « jeunes qui ne se sentent pas représentés par les médias
traditionnels ». Lancé il y à peine une semaine par VICE, le site veut
offrir une couverture
internationale en vidéo qui s'appuie sur un immense réseau de correspondants,
qu'ils soient journalistes, collaborateurs ponctuels ou simples citoyens. D'où
l'importance d'entretenir ce réseau,
souligne un des responsables du site, Drake Martinet.
Ce constat est partagé par les trois participants. «
Trop souvent, les médias utilisent des fixeurs et des journalistes locaux
pendant qu'un sujet est chaud et les laissent tomber par la suite.
On les oublie », dit Lara Setrakian. Andy Carvin
ajoute qu'une des premières décisions de First Look Media, le nouveau média qu'il a rejoint, a été d'embaucher des avocats
pour protéger leurs
collaborateurs.
L'avenir du papier
était absent de la discussion sur le journalisme 2.0. Mais pas de SXSW. A
la même heure, Scott Havens, PDG du magazine The Atlantic, expliquait comment
sa publication a pu « doubler » le nombre de journalistes de
sa rédaction depuis 2009, alors que la tendance est l'inverse presque partout
ailleurs. En se concentrant notamment sur les retours en provenance des réseaux
sociaux et en donnant la liberté à ses journalistes de travailler sur
différentes temporalités, il estime avoir trouvé des
leviers de croissance pour son mensuel. The Atlantic met en ligne
gratuitement tous ses articles car, explique Scott Havens, « on a
découvert que cela fait augmenter les
abonnements au papier. Les lecteurs paient pour l'ensemble ». Sa conclusion
est donc logique : « Les magazines ne vont pas disparaître. »
Luc Vinogradoff (Austin,
envoyé spécial)
Journaliste au Monde.fr
Journaliste au Monde.fr
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